la pie

la pie la-pie.jpgla caqueteuse et l’imperturbable

photographie de vincent pandellé

Incontournable
bavarde

Trop tard. Elle nous a vu.

Il va falloir mettre une armure de patience ou mentir et
prétexter un rendez-vous urgent.

Sourire forcé. Les voisines se ménagent. Pour le bon voisinage.
Dépendent d’elles, surtout, les moindres réputations.

La vieille pie est toute déplumée. Maigre et ridée. Sans
générosité . Mais la langue prolixe et alerte. Juste ce qu’il
faut médisante. Avec la plainte geignante.

On s’est laissé prendre. L’excuse était trop vaseuse
, bredouillante, pas convaincante, la vache elle l’a deviné.
Alors on écoute  en essayant de suivre pour ne pas la vexer.
En évitant d’alimenter la conversation. Pas d’eau à son
moulin, surtout pas d’eau à son moulin. Trop tard on a
acquiescé et cela rebondit, on a hoché la tête, on a annoné , par
politesse, par lâcheté, et cela rebondit de plus belle.

Elle caquète et l’on suit en diagonale les péripéties
imbéciles en passant sur les longueurs avec un regard vague, un
sourire figé et l’esprit irrité. On tente même
l’intérêt prononcé, on voudrait la compassion. Le respect
pour les personnes âgées, vous comprenez…

L’irritation monte, monte, on change de pied
d’appui, on suppute une stratégie échappatoire au premier
silence, encore faut-il le happer.

Et puis n’en pouvant plus , on consulte sa montre en
coupant court au milieu d’une phrase, excusez-moi, je vais
être en retard. On ne dira pas pour quoi. Salut pimprenelle,
ose-t-on tout bas. Au revoir, Mme Paluchet, esquive-t-on tout haut,
avec un soupir de satisfaction doublé de honte de n’avoir pas
osé une sainte franchise dès le début et tout bonnement
l’avoir envoyé balader . Culpabilité. Piètre estime de soi.
Flagrant délit d’hypocrisie.

La vieille pie est satisfaite.. Elle sait parfaitement ce
qu’il en est. Elle repart d’un petit pas sec.

Un peu plus tard, on la voit sur le trottoir. Elle a happé une
autre pauvre proie. On compatit, mais on passe son chemin en
feignant n’avoir rien vu avec un pas pressé. Chacun pour soi
et sauve qui peut.

Michèle Rosenzweig- extrait de « ces gens ordinaires »
editions edilivre.com -2010

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