ouvrir des portes qui se ferment un jour ou l’autre, enfoncer des portes ouvertes , se cogner à des portes fermées, attendre que la bonne porte s’ouvre, voilà le début d’un poème , non ? ou d’un essai philosophique !
spleen de printemps des poètes : j’écris depuis 35 ans dans l’indifférence générale.
frontières : le thème de cette année. frontière invisible entre moi et toi, lecteur improbable
Instant d’attentat
Crotouille, gribouille,
Mes mots ont une âme secrète
Ils ne sont pas pestilentiels
Ils exhalent pourtant je les défèque.
Serait-ce un charabia d’Oulipo
Qui les rende insurrectionnels ?
Vitesses, progrès, sciences illusoires,
Guerres et nouvelles de guerres
Où l’on ne sait plus qui croire,
Criantes Misères, modes éphémères, et marchands de canons,
Les hommes ne savent plus qui ils sont
Mais ils usent de pouvoir,
Du messire poète ils font peu de cas.
Marginal dans son mouroir.
Ainsi, le soleil jamais ne s’assassine, il prodigue
Et si chaque soir il décline, jamais ne se fatigue
Et à l’autre bout du monde réapparait
Libraires qui ne me vendez pas
Éditeurs qui ne me publiez pas
Vous ne tairez pas ma voix d’or et de brocante
Je revendique cet instant d’attentat,
Je clame mes vers dans des spectacles interdits
Sur les petites, toutes petites scènes des partis pris
Non, vous ne tairez pas mes sept vies de chat
Ma vie est éternelle, en elle je rebondis
Mon chant jamais ne se muselle avec du vert de gris
Il me faut la nuit froide et le thé chaud
Pour que se réveille ma famine
La reconnaissance miroite son inaccessible vitrine.
Mots sucrés à ma bouche, miellée des arpèges,
Je vous revêts dans ma promenade d’ici bas
Comme une alliance d’arc en ciel
Dans un pays de neige
Et peu importe si ma voix porte ou pas
Je passerai la porte sans fracas
Dans ton cœur, poésie, entends-tu mon branle bas ?
Avec mon panache je salue
Mort quotidienne la bravoure qui te tue.
affiche que j’ai dessinée pour une lecture publique annulée pour cause de covid
« Poussez » affichait le panonceau. Machinalement, sans lire, il tira. La porte résista. Exaspéré, il l’ouvrit et entra, finalement. Le restaurant offrait une grande salle vide, avec des tables alignées. Un endroit glacial et peu chaleureux. De l’exotisme bon marché pour prolétaires en goguette. Kimonos, ponts japonais, fleurs de lotus, tous les clichés du genre sur les murs peints. Une énorme fontaine en fausse pierre faisait jaillir une cascade d’eau sur des amas de sculptures dragonnesques et des plantes vertes artificielles. Il s’assit à côté, pensant que ce bruit d’eau le calmerait. Mais la musique aigrelette aux cordes pincées qui couvrait tout ne lui pinçait que le coeur. Sur la table, ostensible, la carte. Il venait manger à satiété, et opta pour le buffet à volonté à 19,99€. Personne ne remarqua ses guenilles. Pantalon troué, chaussures affaissées et sales, blouson en jean élimé. Le serveur vietnamien s’approcha , froidement distant, et ne montrait plus rien de l’obséquiosité asiatique traditionnelle. Il commanda et demanda une carafe d’eau. Puis il se dirigea vers le buffet. Des nems, des samoussas, des beignets de calamars, des brochettes de poulet frit, des rouleaux de printemps, il remplit son assiette à ras bord, et entreprit d’engloutir sa première tournée, consciencieusement. Il se rassasiait peu à peu. Ces 20€ trouvés dans son écuelle à la suite de sa prestation sur la place de la gare étaient une aubaine. Quatre jours qu’il n’avait pas mangé à sa faim. Personne ne semblait faire attention à sa musique. Pourtant, il choisissait avec soin ses morceaux, alliant la variété des compositions et tout son talent de violoncelliste. Les gens passaient sans le voir, inconnu dérangeant, un pauvre qui plus est, derrière la stature encombrante de son instrument. Personne n’appréciait plus la musique classique de nos jours. Bach, Debussy, illustres inconnus de la foule passante gavée de rap, de rock, de funk, de techno. Quelques rares individus s’égayaient encore des tubes des années 80, mais c’était pour danser dans des boites à la mode. Ils ne remontaient jamais plus loin le temps. Il regarda tendrement le violoncelle dans son étui, qu’il avait laissé comme au vestiaire près de la porte, non loin de sa vue. C’était toute sa vie. Depuis l’âge de dix ans au conservatoire jusqu’aux concerts salle Gaveau en pleine période de gloire. Le public était mélomane, éduqué, raffiné même, attiré par le prestige de la salle et celui de sa renommée de musicien. Tout avait basculé . Une petite mort s’était installée dans son corps avec l’alcool. Et peu à peu, il avait sombré, tout perdu, tout dilapidé dans des fêtes mondaines et exubérantes. Seul le violoncelle avait résisté au naufrage. Que venait-il faire là, dans ce restau viet bon marché, à écouter les litanies asiatisantes ? Manger pour 20€ quelque chose de bon , jusqu’à s’en péter la sous-ventrière. Il se resservit une autre assiette de porc au caramel, de bœuf au gingembre, de crevettes sauce piquante. Il ne lésina pas sur le riz cantonnais . Repus . Encore une place pour une tranche d’ananas et des lichees pour digérer le trop plein. Il sortit les 20€ de sa poche et se dirigea vers la caisse enregistreuse qui l’avala, sous l’oeil content de lui même d’un bouddha ventru en faux or qui souriait aux pourboires. Il garda pour lui le centime de monnaie rendue. Certains boulangers ne servaient pas de baguette pour un centime manquant, la dureté de coeur se vend bien chez les bien nourris.
Aucun regret. La vie au jour le jour lui offrait ses hauts et ses bas , il avait son coin de hangar désaffecté attitré, et l’hiver la soupe chaude de l’Armée du Salut avec une douche. Il écoutait leur bla bla sans conviction. A défaut d’illumination, leur dieu servait au moins à cela, à aider des pauvres types l’espace d’une journée et leur musique pleine d’alleluias qu’ils ne manquaient pas de lui servir en échange d’un bouillon et d’un sermon était tout aussi pauvre et frelatée que la musique commerciale made in China du restau viet.
Alors il jouait Mozart, Schubert, ses rendez-vous célestes, là sur le trottoir en face de la gare pour deux sous compatissants. Il jouait à s’en saouler l’âme, l’alcool n’étant plus de mise, il avait compris la leçon. Il reprit le violoncelle près de la porte. Et poussa au lieu de tirer. La vie c’était ça, pousser, tirer, vers le haut vers le bas, et se tromper souvent de sens.
ma dernière création littéraire : une nouvelle issue d’une séance d’écriture dans l’atelier de la compagnie des écrivains du Tarn et Garonne
La Peugeot 404
Elle était garée là depuis ses vingt ans. Dans l’arrière-cour grise aux murs sales. Quelques tags avaient envahi bien plus tard les espaces verticaux vacants. La vieille Peugeot 404.
C’était le cercueil de ses grands parents. On les avait retrouvés asphyxiés par les gaz d’échappement dans un dernier enlacement. Ils n’avaient pas voulu vieillir ni être séparés. Le dispositif était sans faille , une lettre d’adieu avait été laissée sur la table de la cuisine. Mourir ensemble avant d’être des épaves de la vie, des naufrages de décrépitude. Mourir épaule contre épaule, main dans la main, en s’endormant doucement. La Peugeot 404 avait accompagné leur dernier voyage , immobile dans l’arrière-cour, le grand dernier voyage de leur grand amour.
Jeune fille, elle avait accepté ces dernières volontés bizarres tant bien que mal. Et puis en y réfléchissant, c’était mieux que crever de solitude dans un EHPAD parce que l’autre était mort dans l’agonie d’un cancer. Fallait-il s’aimer et se croire éternels !
Cet amour extrême, elle en avait été le témoin dans son enfance, ces regards toujours amoureux de l’un à l’autre, ces baisers impromptus, ces mains serrées, ces manières de se parler, c’était plus que de la tendresse, plus que de la vieille habitude du mariage.
On les avait trouvés au petit matin, sortis précautionneusement de l’habitacle et étendus côte à côte sur leur grand lit. Puis ils furent incinérés et leurs cendres éparpillées au même endroit au pied d’un arbre, un cerisier sauvage, vieux comme Hérode qu’ils continueraient ainsi à nourrir.
La Peugeot 404 servait maintenant d’abri pour les chats, les vitres ouvertes, les sièges crevés, la carrosserie rouillée, une portière en moins. Tous les chats errants y passaient le jour ou la nuit parce qu’Emeline les nourrissait dans l’arrière-cour. Toujours à boire et à manger pour les chats de gouttière du quartier. Ils allaient et venaient, se laissaient caresser, ils aimaient cette vieille cage en ferraille dans leur liberté. Ils prenaient le maigre soleil citadin ronronnant sur le toit, sur le capot, ils s’abritaient de la pluie sur les coussins intérieurs. Ils miaulaient à l’heure de la gamelle qu’Emeline ne manquait pas de leur apporter, se frottant à ses jambes, offrant leur tête à sa main caressante, puis se retiraient souplement, contents d’eux mêmes.
Il y avait surtout, fidèles, Grand Pa et Grand Ma, les deux vieux de la vieille, le pelage un peu plus clairsemé , un peu plus blanchi à chaque fois. C’étaient les survivants de sa jeunesse, une réincarnation douce, gentille et tendre, qui lui faisait fête depuis toutes ces années. Un jour ils s’éteindraient eux aussi, d’eux mêmes, quand l’âge serait trop lourd à porter, comme deux bougies, tout doucement, sans faire de bruit.
sur une vieille image de ma jeunesse , au temps des récitations et des images reçues contre dix bons points, ce pastiche dédié à La Fontaine
La commère de la Fontaine
– Bonjour monsieur Panache !
– Bonjour madame Fourmy…
– Vous avez vu ce temps ? Il fait glacial. La bise est venue et la neige par dessus .même plus un vermiceau à se mettre sous la dent .Heureusement que nous avons nos petits logis ! Votre trou dans l’arbre sec doit être bien chaud et bien confortable pour hiberner, et vous avez de quoi … Je vous ai vu ramasser noix sur noisettes pour votre garde-manger d’hiver …
Moi c’est pareil, j’ai travaillé dur tout l’été à glaner dans les épis , à transporter les miettes, et ces éclats de nourriture laissés par les hommes, à récolter les graines tombées et les bouts de fruits. Tout ça toute seule avec mes petites pattes. Je ne rechigne pas à la besogne !
C’est pas comme cette mademoiselle Sigal. Figurez vous qu’elle est venue frapper à ma porte. Voisine, m’ a-t elle dit en pleurnichant, pourriez vous me prêter quelques graines pour subsister jusqu’aux beaux jours? je vous le rendrai , parole d’animal , avec intérêts .
Ah mais ça ! Quel culot !
Vous l’auriez vue cet été à chanter dans les rues avec son violon ! Intermittente du spectacle qu’elle m’a dit qu’elle était. Fainéante oui, irresponsable oui …. Tout l’été à faire la fête , à chanter , à rigoler, à boire et à manger tout ce qu’elle gagnait dans son chapeau . Insouciante , légère, mademoiselle Sigal . Pas un radis de côté , Mr Panache et ça vient faire l’aumône.
Est-ce que je chante moi ? Est-ce que je rigole moi ? Est-ce que je trinque à la bonne franquette moi ?
Monsieur Panache , je lui ai fermé la porte au nez ! Je ne m’appelle pas pigeon ou les restos du coeur! Qu’elle danse maintenant pour se tenir chaud!ah oui alors ! Qu’elle danse avec les moineaux ! Foi de Madame Fourmy !
Ah bon ? Vous lui avez cassé une noisette exprès pour elle ? À mademoiselle Sigal ? Vous êtes trop généreux ! Cela vous perdra.Prévoyant , épargnant , économe , vous êtes que qu’un de bien , vous !
Mais je bavarde je bavarde , ne restez pas dehors par ce froid de canard , vous prendrez bien un petit bout de pomme ?
pour célébrer le génie de Molière, je me suis permis de revisiter à la manière d’une nouvelle un scène merveilleuse de drôlerie du bourgeois gentilhomme. plagiat, pastiche, condensé, exercice de style? une liberté d’écrivain et un hommage tacite. les effets sont beaucoup moins drôles, j’avoue, que sur une scène de théâtre
Molière revisité
Entra le maître de philosophie, tout de noir vêtu, barbiche blanche et lunettes d’écailles, rajustant son col d’un air détaché .
– Que voulez vous apprendre? demanda-il à Mr Jourdain.
– Tout ce que je pourrai, j’ai toutes les envies du monde d’être savant .
D’un ton docte et se caressant la barbe, le maître de philosophie acquiesça.
– Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous savez le latin ?
– Oui, mentit -il, mais faites comme si je ne le savais pas . Que cela veut-il dire ?
– Sans la science la vie est presque une image de mort , traduisit le maître d’un air entendu. Suivi d’un silence solennel.
Puis , il s’enquit des connaissances de son élève, ce qui se résuma assez vite à savoir lire et écrire .
Il lui proposa donc d’apprendre la logique et les trois opérations de l’esprit. La première , la deuxième et la troisième. Bien concevoir par le moyen des universaux , bien juger par le moyen des catégories et bien tirer une conséquence par le moyen des figures.
Devant tant de science, Mr Jourdain jugea le sujet trop rébarbatif et voulut apprendre une science plus jolie.
– La morale ?
Mr Jourdain décida que non décidément, il préférait ne pas réfréner ses passions et se mettre en colère quand bon lui semblait.
– La physique alors ?
L’explication des principes des choses naturelles allant des éléments aux tourbillons en passant par le tonnerre la foudre ou l’arc en ciel lui parut trop embrouillée.Trop de tintamarre là dedans dit -il .
-Apprenez moi l’orthographe.
Pour la traiter en philosophe , le maître expliqua la différence entre les voyelles et les consonnes et entreprit de décrire l’articulation des voix.
A E I O U.
La voix A en ouvrant fort la bouche , la voix E en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut.
– Ma foi, oui . A.E. Que cela est beau! s’extasia Mr Jourdain
– O , l’ouverture de la bouche fait un petit o…
– Vous avez raison, o la belle chose que de savoir quelque chose !
Mr Jourdain n’en finissait pas de s’émerveiller. Quant aux consonnes !
– D se prononce en donnant du bout de la langue au dessus des dents d’en haut . DA
-Ah les belles choses ! Ah les belles choses ! S’ébaubissait–il , en remuant consciencieusement les lèvres sur chaque nouveau son dans des mimiques dignes d’un singe.. Mais le maître de philosophie arrêta là la leçon.
Voulant en savoir encore et encore , Mr Jourdain lui fit une confidence : il était amoureux d’une personne de grande qualité et voulait lui faire parvenir un billet doux . Quelle serait la meilleure façon de lui écrire ?
– Sont-ce des vers ou de la prose que vous voulez écrire ?
– Ni prose, ni vers .
– Il faut que cela soit l’un ou l’autre , trancha le maître.
– Et comme l’on parle qu’est-ce que cela ? Demanda Mr Jourdain
– De la prose
– Quoi ? Quand je dis « Nicole apportez moi mes pantoufles , » c’est de la prose ? Par ma foi cela fait quarante ans que je dis de la prose sans que j’en sache rien ! Je vous suis bien obligé …
Je voudrais lui écrire : belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , mais tourné à la mode , arrangé comme il faut. Dites moi les différentes façons .
Le maître de philosophie tourna et retourna la phrase dans tous les sens . D’amour mourir me font belle marquise vos beaux yeux . Ou encore : me font vos yeux beaux mourir belle marquise d’amour .
– Et quelle est la meilleure façon ? S’enquit Mr Jourdain.
Il fut extasié d’apprendre que le plus naturellement du monde il avait trouvé seul la phrase que le maître de philosophie jugea la meilleure . Belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , voilà qui sonnait bien !
Dans ses chaussures trop étroites , il dansa maladroitement d’un pied sur l’autre, gloussant la phrase, et lissant le jabot blanc de son costume rouge grenat de bourgeois arrivé , comme un gros dindon satisfait.
nouvelle écrite après le confinement pendant la crise coronavirus
KODAK Digital Still Camera
La quarantaine Zoé n’en pouvait plus de ce confinement entre quatre murs . Pas la prison, pas l’hôpital, pas le handicap, non , la peur de la pandémie . La quarantaine forcée, décidée par le gouvernement . Vivre en HLM à Evry-Courcouronnes , ville nouvelle, dans un deux pièces cuisine, sans chien à promener. Juste quelques courses au supermarché, quelle aventure …. Pas de jogging à faire non plus entre les cubes de béton et les trottoirs vides . Elle se consolait entre ses plantes vertes et un poisson rouge dans un bocal avec qui elle avait soudain de l’empathie dans son tournage en rond perpétuel Elle se prenait à lui faire la conversation. L’exercice quotidien était la descente de cinq étage sans ascenseur pour chercher le courrier dans la boîte aux lettres . Pas de télétravail, elle était au chômage depuis belle lurette, bien avant les mesures de confinement obligatoire . Elle regrettait presque la visite à l’agence pour l’emploi. Le désoeuvrement elle connaissait mais là , sans bistro ouvert , sans copains de comptoir, elle frisait la neurasthénie . Alors elle feuilletait ce qui lui tombait sous la main , vieux catalogue 3 suisses , dernier catalogue Bon Prix , pour avoir l’impression de changer de fringues, de faire du shopping , bulletin municipal avec le résultat des dernières élections, catalogue Vitrine Magique de tas de trucs inutiles qui , il fut un temps lui paraissaient utiles pour améliorer son quotidien, et qui maintenant la faisaient marrer . Elle se passait allègrement de tout maintenant . Même les achats sur internet elle ne pouvait plus . Sa carte bleue était périmée et elle était en surendettement sans autorisation de renouvellement de carte de paiement . De café en café , elle promenait son désarroi et son ennui dans l’appartement encombré par la vaisselle qui traîne de restes de repas sur le pouce. Pas l’envie de cuisiner non plus . Pour qui pourquoi? Elle vivait seule. Elle feuilleta son carnet d’adresses. A qui téléphoner pour un peu d’immédiateté dans le contact à plus d’un mètre cinquante de distance ? Son voisin mit de la musique qui traversait régulièrement les murs en placo de l’immeuble. C’était bien ce qu’il mettait en ce moment : de la kora africaine . Au moins elle voyageait . Plus loin que les allers et retours pour pisser. Borborygmes de chasse d’eau qui fuyait comme seules cascades de randonnée pédestre … Elle avait calculé que la diagonale de son appart plus trois fois le couloir équivalaient à 50 mètres de marche à pied . Pour faire un kilomètre combien de déambulations sportives ? En petite foulée mesurée ? Exercice de calcul mental rapide . Une lettre dans la boite aux lettres ce matin. Celle de son vieux copain d ‘école Freddy Mucklenberg. Il avait retrouvé son adresse sur les pages blanches et il lui racontait sa vie depuis qu’ils s’étaient perdus de vue . Elle décida de lui raconter la sienne . Occasion unique de faire le point sur 45 années sur la surface de la terre depuis sa naissance à Bamako post coloniale, en passant par son diplôme de styliste puis puis son recyclage dans le graphisme . Puis son concubinage raté de 15 ans avec un camerounais ambulancier jusqu’à subir la solitude dans un désert moral sans précédent . Quand elle relut la lettre, il lui sembla qu’elle avait honte . De s’être laissée faire , laissée aller. Elle la roula en boule et la jeta dans le panier de basket de la corbeille à papier . Il fallait qu’elle se secoue . Elle reprit son stylo et écrivit sur la première page d’un cahier ; journal de confinement. Là elle avait quelque chose à dire, à faire . Pour publier quand la quarantaine prendrait fin . Elle ne serait sans doute pas la seule à avoir eu l’idée mais elle garderait ça en souvenir au pire . Comme des mémoires de guerre …. L’exercice était stationnaire, là devant une feuille de papier , mais ne lui coutait rien. Chaque jour elle trouvait un truc à consigner , occupations de prisonnière d’abord, puis peu à peu, jour après jour, la liberté intérieure gagnant du terrain , une occupation plus sereine . : cuisine , ménage, quadrilatère sportif, musiques du voisin, observation du poste de sa fenêtre des gens dans la rue, arrosage, rempotage de plantes vertes , nourrissage , changement d’eau et conversation de poisson à poisson, et méditation sur canapé. Elle clôtura pour un temps sa page facebook d’amis virtuels sans intérêt , et entreprit une visite des musées en ligne, l’écoute gratuite des opéras du Metropolitan de New York . Son copain d’enfance s’enhardissait à lui envoyer d’autres lettres , elle s’enhardit à faire de lui le premier lecteur potentiel de son journal de confinement . Lui aussi était en région parisienne , à Créteil, autre ville nouvelle . Les facteurs , pigeons voyageurs du confinement ,continuaient leur service régulier . Elle pressentait une ouverture vers une autre façon de vivre . Elle prenait le temps pour se réparer intérieurement en réfléchissant aux évènements, à sa vie , en téléphonant à sa soeur qu’elle n’avait pas revue depuis dix ans , en écrivant . Quand l’ennui la plombait, elle laissait monter, laissait descendre une envie quelconque qu’elle mettait à exécution . Cela prenait le temps qu’il fallait pour que ce soit créatif . Laisser monter laisser descendre comme une envie de chier . Elle avait trouvé des synonymes dans le dictionnaire à « se faire chier « un autre mot : tartir , caguer . Elle se faisait tartir ? Elle laissait monter et descendre l’envie jusqu’à l’excrément final de sa nouvelle production : petit plat mijoté, page de journal, mots croisés, petite foulée dans le jardin public, coup de téléphone, soin de beauté, exercice de méditation. Elle était allée frapper chez le voisin pour lui demander les références de ses musiques, moyennant la distance de sécurité !… elle le croisait aussi à la boite aux lettres en un vieil habitué du même créneau horaire maintenant . Le confinement s’il avait pris des allures de dictature avec peur orchestrée, couvre feu, laisser passer et flicage, avait aussi donné des ailes de liberté intérieure ,de temps pour soi et pour les autres, dont on ressentait le besoin précieux . Zoé sortit sa vielle guitare de sa housse et entreprit de se mettre à chanter . « Il est où l’bonheur il est où ? ». Paroles et musique de Christophe Maé . Le coronavirus était devenu la dernière de ses préoccupations. Elle n’écoutait plus l’intoxication médiatique générale aussi virulente que le virus lui même. Il faisait son office mystérieux de sélection naturelle, frappant où il voulait mais aussi son office miraculeux de rédemption
– Avant d’être pelouse , je fus tronc , se vantait le gazon de sa vie antérieure .Avant qu’on me tonde et je repousse , je fus chêne solide et bien campé.
– Je fus larve , puis chenille puis papillon, je vécus trois vies en une , se riait de lui le papillon.
– Moi dit le chat, j’ai sept vies devant moi et je n’en n’ai vécu qu’une…
– L’enfant répondit : je suis éternel. Je ressusciterai des morts et vivrai en paradis . C’est maman qui me l’a dit parce que j’ai jésus pour ami . c’est écrit .
– Moi dit l’homme vieux et fourbu, je redeviendrai poussière et repos, je mangerai le pissenlit par les racines . je fleurirai en pâquerette très bientôt.
– Modeste , la pâquerette lui sourit : je renais chaque printemps de ma blanche collerette…
– Et moi dit l’araignée ,je mettrai à profit mon don, je serai tisserande. De mon fil, je couvrirai l’homme nu pour qu’il n’ait ni froid ni honte .
– Et toi étranger , à quoi aspires- tu dans cette vie ou dans une autre ? Un abri , un repas chaud , et l’amour d’un pays . Tout passe et tout revient , Dieu donne chaque jour son soin .
– Si un livre passe ton chemin, ami lecteur, fais en ton festin. Quand tu en auras lu mille et cent, tu seras riche d’un destin, à tourner les pages pour en faire ta fortune.
– Et toi , écrivain qui les raconte et les imagine, ta trace immortelle et fugace sur le sable tu inscris. Le temps , le vent, la mer l’emporte et la déterre. Et si tu es poète , tu sais que rien n’a d’importance sauf le moment.