lors de ce même noêl familial, autour de la table de ma soeur Isabelle , aujourd’hui décédée d’un cancer, voici quel était son cadeau, disparu dans la nature. la petite histoire de ce tableau c’est une journée de peintres en plein air au village de Lafrançaise, sur la place du marché, avec une halte au restaurant magret de canard et vin de gaillac avec le peintre Toumarinson, déjà bien vieux à l’époque. reportage photo, sur le « vase coquin ». autre production de cette journée, « le marchand de fleurs », croqué sur le vif au marché ce matin là, aux pastels aquarellables.
d’après une illustration de couverture dans la série « l’enfance en poésie » dont je n’ai pas gardé le nom de l’auteur, un livre utilisé par ma mère institutrice à l’école. j’ai faites miennes les couleurs dans une interprétation libre d’aquarelle. ce tableau a été offert à ma nièce qui a eu trois enfants, lors d’un cadeau de noël. je l’ai appelé » petit prince », je l’immortalise un peu avec cette photo, lui et sa petite histoire.
j’ai essayé quand j’étais une chrétienne convaincue face à un jeune loup chrétien qui voulait se faire les dents sur une partie d’échecs, la « stratégie immolatoire ». A l’exemple du sacrifice d’un christ total et volontaire, modèle d’obéissance divine et de renonciation qui me semblaient d’une sagesse insondable à l’époque, et un comble mis à l’amour, j’ai avancé chaque pièce sur l’ échiquier comme une perche tendue, un art de se saborder systématiquement. Le jeune joueur y a vu successivement des bonnes aubaines de victoire facile, un mépris de la tactique pareil à de la bêtise, un m’enfoutisme de perdant désintéressé de la partie en jeu, un manque de respect élémentaire de la passion naissante de mon adversaire, une absence de combativité laxiste, une pédagogie débile.
Quand tout fut ainsi consommé dans une victoire bâclée, vaine et sans éclat, je couchais mon roi devant lui sans un mot. Je crois qu’il fut dégoûté à jamais des batailles d’échecs qui veulent bien dire ce qu’elle veulent dire, supputer des échecs et non des réussites, mettre en échec, vivre d’échecs. Surtout ceux des autres pour la maigre gloriole d’une pauvre victoire de soi disant intelligence supérieure et talentueuse , surtout particulièrement tortueuse.
je n’ai jamais aimé jouer aux échecs, ni même essayé d’y prendre plaisir. Suis je inculte et décidément trop bête…c’est la seule leçon que j’ai pu tirer d’un christ souffrant , consentant à l’échec pour une humanité de toutes façons vouée à l’échec. Rien n’a changé depuis , je constate. Je suis juste dégoûtée du jeu qu’il nous donne à jouer comme seule porte d’espérance de victoire depuis plus de 2000 ans . L’amour véritable n’est pas immolatoire , il donne , il prend, il reçoit, il échange, il apprend, il écoute et se tait , il parle sans dogme, sans prétention de vérité, sans prédication, il est en marche , pas crucifié et ne voulant crucifier personne ni en le clouant sur place ni en lui clouant le bec, il laisse une place acceptable à l’erreur, sans passage obligé au mea culpa.. Il ne se nourrit pas d’échecs et de victoires , même pour gagner la guerre en perdant des batailles, comme disent les généraux notoires. Même l’apôtre paul , porte parole d’une toute personnelle loi d’amour sur la base christique de soumission totale , comme si l’amour était prodigable sous forme de loi, s ‘y est complètement trompé, laissant une église atrophiée et atrophiante dans sa conception de l’amour. Ailleurs se trouve la sagesse de l’amour, là se trouve la vie, la vraie voie ouverte.
en ce mois d’avril 2023
Michele Rosenzweig sur une peinture acrylique sur toile qui date un peu …mais qui parle toujours .
Encore une nouvelle à insérer dans un prochain livre. j’ai l’idée d’un titre: Bribes et esquisses. des romans avortés, des mini romans, des histoires qui résument en peu de mots et c’est mieux comme ça. Qui vont à l’essentiel sans prolongations. c’est ma définition de la nouvelle. Une exploration qui me suit depuis bien des années, déjà amorcée avec « déclinaison de femmes » , » ces gens ordinaires » et « alter ego », un genre que j’affectionne mais qui n’est pas très populaire, il faut le dire. Toute une éducation littéraire à parfaire… car c’est aussi laisser le lecteur sur sa faim, sur son imaginaire, sur sa participation active dans l’échafaudage des non-dits, des suites et des possibles, sur un inconfort non consumériste, sur un plaisir nouveau sans facilité, sur une perplexité en tous cas.
Les oiseaux du crépuscule
Cela va faire trois mois qu’ils tchattent sur Internet dans un site de rencontre.
Aujourd’hui , elle lui donne rendez vous au Phillies, un bar américain qui est une réplique du bar new-yorkais peint par Edward Hopper. dans son tableau Nighthawks. Un lieu pour esseulés et nostalgiques de l’Amérique. A la tombée de la nuit, pour que les néons flashent dans l’avenue de leur rouge fluo. Elle aime être un oiseau de crépuscule, pas un faucon de nuit. Les machines à milk shake sur le comptoir et le barman en calot blanc qui s’affaire sur les ice creams et les sirops à la fraise entre deux hot dogs. Les parois de verre immenses qui s’ouvrent sur le clair obscur d’un coin de rue , ne laissent aucune chance à l’intimité propice à la désespérance, béantes au regard voyeur des arpenteurs de trottoirs qui hantent la grande ville, zombies entre chien et loup attirés par la lumière électrique comme des papillons.
Elle attend dans sa robe rouge, ses cheveux roux tombent en boucles savantes de brushing sur ses épaules à demi nues. Elle s’est maquillée œil de chatte à l’eye liner. La lumière crue du bar la rend un peu blafarde. Un client est là déjà, accoudé, sirotant un whisky coca, lisant quelque Huffington Post sur son smartphone. Mais non, ce n’est pas lui, il dérobe son regard et fixe son drink. Elle commande un cappuccino.
19h. La nuit commence à tomber sur cette fin d’hiver. Ce n’est pas encore l’heure d’affluence des noctambules, ceux qui sortent du cinéma Gaumont Palace à deux pas, et ceux qui plus tard rentreront de boite de nuit cherchant une dernière halte pour un dernier verre avant le petit jour.
Elle a choisi une heure déserte, celle d’une sortie de bureau, d’un apéritif tranquille avant de regagner ses pénates, dans cet entre-deux mondes.
Voilà. Il pousse la porte. Elle est sûre que c’est lui, il porte un Borsalino, le signe de reconnaissance qu’elle lui avait demandé. Ma foi , il est pas mal, pas un Sinatra, mais l’air viril, un rien canaille et décontracté. Est ce le charme du chapeau ?
– Peggy ?
– Oui, vous êtes Franck ?
– A dire vrai, mon nom est Abdel. Franck est un pseudo. Vous êtes très jolie. Et la première impression pour vous , c’est quoi ?
– Tout à fait dans le ton du lieu. Un peu amerloque, quoi. Je ne suis pas Peggy non plus, mais Marlène.
– Pourquoi cet engouement pour cet endroit à cette heure déserte ?
– Une peinture de Hopper triste à mourir , où les solitudes s’attardent au bar, dans une Amérique chimérique et cassée. C’est ma vie. Vide. Vidée. Sans envie.
– Si nous commencions par un simple expresso pour tenter une réanimation ?
– Plutôt une Desperado avec des chips pour moi.
Un long silence s’installe entre eux. Ce spleen avoué en entrée de jeu l’incommode. Il sape toutes les illusions de séduction.
Elle se lance, pour briser la glace.
– Vous aimez danser ?
– J’adore.
– Il y a un juke box d’époque dans ce bar. Ca vous dit un rock sur Elvis Presley ?
Elle l’entraîne vers la musique. Il se débrouille bien, il fait virevolter sa robe dans des passes vigoureuses . Elle suit, son corps avec le sien. Il conduit d’une manière ferme, il la prend par la hanche de temps en temps.
– On s’aventure sur du disco , John Travolta ? dit elle avec un humour aigrelet.
Tous les deux seuls dans le bar, ils dansent non pas la fièvre du samedi soir, mais le premier pas d’une aventure qui durera ce qu’elle durera, un mercredi très ordinaire.
– On va manger un hamburger frites à la brasserie ?
Elle se demande avec une ironie amère qu’elle garde pour elle si elle ne préfèrerait pas un restaurant tzigane, pour donner dans les violons … avec du champagne, ce serait moins mesquin.
En sortant du bar américain, ils déambulent dans les rues de la ville, bras dessus, bras dessous. Au hasard. Ils finissent par trouver un restaurant italien très cosy. Confortable, nappes à carreaux rouges, bougies fichées droites sur des bouteilles de chianti vides, O sole mio d’ambiance par Andréa Boccelli.
– Très romantique , non ?
– Le Borsalino donne une touche très mafioso sicilien !
– Et la robe rouge très Sophia Loren est assortie au drapeau italien !
Ils se parlent autour des carbonaras. Des trucs de solitaires. Le travail, la routine, les histoires d’amours ratées, les soirées au lit à tchatter sur l’ordinateur portable, pour tenter de trouver une âme un peu sœur. Ils boivent du rosé, cela les rend gais. Funiculi, funicula chante Pavarotti.
Ils se dévisagent, pas étonnés de la couleur marron de leurs yeux plus que commune, des quelques rides désabusées de leur quarantaine. Ils en viennent à la question douteuse de la compatibilité de leurs signes zodiacaux. Une cancer et un balance. Mystère des astres, ils ne croient même pas au destin.
Après le tiramisu et le café , ils payent chacun leur part, pas d’équivoque sexiste. Il offre le taxi qui les ramènera. Chez lui ? Un dernier verre? Vous montez ? 3ème étage sans ascenseur. Sans doute pas un 7ème ciel. Là devant la porte d’entrée qu’il ouvre sur l’intimité de sa vie, il lui prend la main et l’embrasse sur la bouche. Elle laisse faire, répond par une main glissée sous sa chemise, dans ses cheveux.
Elle se demande s’ils résisteront à un premier soir dans un lit. Trop rapide, trop fast food. Rien à perdre, se dit elle, on va jouer le jeu. Consommer un peu d’amour. Jouer à n’être qu’une chose. Comme un va-tout.
La robe rouge tombe comme une feuille morte, comme une épluchure, sur le plancher. Elle ne s’est jamais sentie aussi seule et aussi nue.
Je me suis rendue à l’évidence, j’ai capitulé devant le constat de la fausse route et de la fausse vérité. 30 ans d’engagement dans une tromperie multi millénaire, croyant de toute ma force naïve en la rédemption de l’humanité par un dieu d’amour.
j’ai essayé l’amour dans tous les aspects de ma vie et c’est là la seule leçon , la mise en pratique, tester par soi même la réalité des écrits qui se disent les plus saints et les plus sages j’ai eu le mérite d’y croire honnêtement.
mais qui est ce dieu impénétrable dans toutes ses voies au point de se dire miséricordieux en enfermant l’homme depuis sa création dans la malédiction qu’il a prononcée contre lui pour une simple curiosité dénuée de malice, simple erreur de jeunesse de désobéissance à la sacro sainte interdiction divine. quel dieu pervers a mis dans le jardin initial une création pareille , je parle de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. quel dieu pervers a t il créé et toléré la personnification du mal comme une autre alternative à lui même, dans un jeu permanent de course à la gloire? quel dieu d’amour a attendu 6000 ans d’après le calendrier juif et ce n’est pas fini pour inclure tous les hommes et toutes les femmes dans le droit à être autre chose que des jouets ballottés destinés à un enfer ou des serviteurs sinon des esclaves de sa gloire personnelle? et que dire de ce christ fils de dieu trompé et trompeur , sauveur d’humanité? l’humanité n’a rien de sauvé depuis sa mort inutile et sa résurrection encore plus inutile.
j’ai testé ce jésus là chez les chrétiens pendant 30 ans assujettis à l’apôtre paul de remplacement et au soi disant st esprit qui ne les rend même pas capables de se supporter entre eux. qui est ce jésus d’amour qui voue l’humanité toute entière à l’apocalypse sans même être capable d’éradiquer le mal autrement qu’avec un armageddon lointain qui recule toujours son échéance, qui permet depuis deux mille ans de sa venue l’exploiteur , le tyran, le méchant, le règne de la force et du profit même pas rattrapés par leur karma ? ,
tout juste a t il donné quelque espérance dans une vie après la mort aux opprimés de toujours . reste à savoir si elle est honorée dans ce paradis de louange éternelle à la gloire d’un dieu possessif, et mégalomane, négation de la beauté créatrice et de l’intelligence qui nous habite ?
voilà le retournement de ma situation spîrituelle, un retournement de veste. dois je nier trente ans d’écriture et de recherche personnelle de la paix intérieure pour donner un sens à cette absurdité ? il m’a fallu une bonne colère, une sérieuse mise au point sans mensonge vis à vis de mes conclusions après expérimentation.
pas assez chrétienne pour les chrétiens, mais trop croyante pour le reste des hommes . mes livres ont oscillé entre la foi en un monde meilleur et une lucidité au scalpel, pas totalement dupe. ce sont des pages tournées , des avancées dans le noir et la lumière.
elles en valent la peine. il y a dans tout cela la découverte de l’amour en mon âme soeur , ma part manquante , mon amour en grand. il m’a fallu tout ce chemin pour le trouver , lui. Lui seul me donne suffisamment pour donner autour de moi sans sacrifice. pas un jésus époux de tous les frustés d’amour de la terre, qu’il honore du haut de son ciel par un sourire bouddhique plus qu’impénétrable et plutôt machiavélique. Il n’épargne même pas ses élus, que dire des autres ?
donc je vous livre ce poème, tentative de résumé:
Vectrice
singleton, je cherche mon binôme
dans l’équation aux inconnus de ce monde .
Dans mon ensemble,
je cercle la racine
où je suis simple élément,
Dans une multiplication des possibles
sur la ligne droite
qui voudrait sa parallèle ou plutôt son point de rencontre
son point culminant.
Sur la tangente, je mets en facteur
mon inadéquation à la fréquence de deux ondes positives
me voilà vectrice de quelque dieu
univers créateur et matrice
force intérieure extraite de quelque racine si peu carrée
valeur discrète des hommes mes égaux
L’hypothèse devient démonstration .
poésie de la mathématique .
Je suis abscisse sur ordonnée à la croisée des axes .
Un point A sur une courbe reliée à son point B.
tu existes mon amour , j’en fais la preuve tangible
ouvrir des portes qui se ferment un jour ou l’autre, enfoncer des portes ouvertes , se cogner à des portes fermées, attendre que la bonne porte s’ouvre, voilà le début d’un poème , non ? ou d’un essai philosophique !
spleen de printemps des poètes : j’écris depuis 35 ans dans l’indifférence générale.
frontières : le thème de cette année. frontière invisible entre moi et toi, lecteur improbable
Instant d’attentat
Crotouille, gribouille,
Mes mots ont une âme secrète
Ils ne sont pas pestilentiels
Ils exhalent pourtant je les défèque.
Serait-ce un charabia d’Oulipo
Qui les rende insurrectionnels ?
Vitesses, progrès, sciences illusoires,
Guerres et nouvelles de guerres
Où l’on ne sait plus qui croire,
Criantes Misères, modes éphémères, et marchands de canons,
Les hommes ne savent plus qui ils sont
Mais ils usent de pouvoir,
Du messire poète ils font peu de cas.
Marginal dans son mouroir.
Ainsi, le soleil jamais ne s’assassine, il prodigue
Et si chaque soir il décline, jamais ne se fatigue
Et à l’autre bout du monde réapparait
Libraires qui ne me vendez pas
Éditeurs qui ne me publiez pas
Vous ne tairez pas ma voix d’or et de brocante
Je revendique cet instant d’attentat,
Je clame mes vers dans des spectacles interdits
Sur les petites, toutes petites scènes des partis pris
Non, vous ne tairez pas mes sept vies de chat
Ma vie est éternelle, en elle je rebondis
Mon chant jamais ne se muselle avec du vert de gris
Il me faut la nuit froide et le thé chaud
Pour que se réveille ma famine
La reconnaissance miroite son inaccessible vitrine.
Mots sucrés à ma bouche, miellée des arpèges,
Je vous revêts dans ma promenade d’ici bas
Comme une alliance d’arc en ciel
Dans un pays de neige
Et peu importe si ma voix porte ou pas
Je passerai la porte sans fracas
Dans ton cœur, poésie, entends-tu mon branle bas ?
Avec mon panache je salue
Mort quotidienne la bravoure qui te tue.
affiche que j’ai dessinée pour une lecture publique annulée pour cause de covid
« Poussez » affichait le panonceau. Machinalement, sans lire, il tira. La porte résista. Exaspéré, il l’ouvrit et entra, finalement. Le restaurant offrait une grande salle vide, avec des tables alignées. Un endroit glacial et peu chaleureux. De l’exotisme bon marché pour prolétaires en goguette. Kimonos, ponts japonais, fleurs de lotus, tous les clichés du genre sur les murs peints. Une énorme fontaine en fausse pierre faisait jaillir une cascade d’eau sur des amas de sculptures dragonnesques et des plantes vertes artificielles. Il s’assit à côté, pensant que ce bruit d’eau le calmerait. Mais la musique aigrelette aux cordes pincées qui couvrait tout ne lui pinçait que le coeur. Sur la table, ostensible, la carte. Il venait manger à satiété, et opta pour le buffet à volonté à 19,99€. Personne ne remarqua ses guenilles. Pantalon troué, chaussures affaissées et sales, blouson en jean élimé. Le serveur vietnamien s’approcha , froidement distant, et ne montrait plus rien de l’obséquiosité asiatique traditionnelle. Il commanda et demanda une carafe d’eau. Puis il se dirigea vers le buffet. Des nems, des samoussas, des beignets de calamars, des brochettes de poulet frit, des rouleaux de printemps, il remplit son assiette à ras bord, et entreprit d’engloutir sa première tournée, consciencieusement. Il se rassasiait peu à peu. Ces 20€ trouvés dans son écuelle à la suite de sa prestation sur la place de la gare étaient une aubaine. Quatre jours qu’il n’avait pas mangé à sa faim. Personne ne semblait faire attention à sa musique. Pourtant, il choisissait avec soin ses morceaux, alliant la variété des compositions et tout son talent de violoncelliste. Les gens passaient sans le voir, inconnu dérangeant, un pauvre qui plus est, derrière la stature encombrante de son instrument. Personne n’appréciait plus la musique classique de nos jours. Bach, Debussy, illustres inconnus de la foule passante gavée de rap, de rock, de funk, de techno. Quelques rares individus s’égayaient encore des tubes des années 80, mais c’était pour danser dans des boites à la mode. Ils ne remontaient jamais plus loin le temps. Il regarda tendrement le violoncelle dans son étui, qu’il avait laissé comme au vestiaire près de la porte, non loin de sa vue. C’était toute sa vie. Depuis l’âge de dix ans au conservatoire jusqu’aux concerts salle Gaveau en pleine période de gloire. Le public était mélomane, éduqué, raffiné même, attiré par le prestige de la salle et celui de sa renommée de musicien. Tout avait basculé . Une petite mort s’était installée dans son corps avec l’alcool. Et peu à peu, il avait sombré, tout perdu, tout dilapidé dans des fêtes mondaines et exubérantes. Seul le violoncelle avait résisté au naufrage. Que venait-il faire là, dans ce restau viet bon marché, à écouter les litanies asiatisantes ? Manger pour 20€ quelque chose de bon , jusqu’à s’en péter la sous-ventrière. Il se resservit une autre assiette de porc au caramel, de bœuf au gingembre, de crevettes sauce piquante. Il ne lésina pas sur le riz cantonnais . Repus . Encore une place pour une tranche d’ananas et des lichees pour digérer le trop plein. Il sortit les 20€ de sa poche et se dirigea vers la caisse enregistreuse qui l’avala, sous l’oeil content de lui même d’un bouddha ventru en faux or qui souriait aux pourboires. Il garda pour lui le centime de monnaie rendue. Certains boulangers ne servaient pas de baguette pour un centime manquant, la dureté de coeur se vend bien chez les bien nourris.
Aucun regret. La vie au jour le jour lui offrait ses hauts et ses bas , il avait son coin de hangar désaffecté attitré, et l’hiver la soupe chaude de l’Armée du Salut avec une douche. Il écoutait leur bla bla sans conviction. A défaut d’illumination, leur dieu servait au moins à cela, à aider des pauvres types l’espace d’une journée et leur musique pleine d’alleluias qu’ils ne manquaient pas de lui servir en échange d’un bouillon et d’un sermon était tout aussi pauvre et frelatée que la musique commerciale made in China du restau viet.
Alors il jouait Mozart, Schubert, ses rendez-vous célestes, là sur le trottoir en face de la gare pour deux sous compatissants. Il jouait à s’en saouler l’âme, l’alcool n’étant plus de mise, il avait compris la leçon. Il reprit le violoncelle près de la porte. Et poussa au lieu de tirer. La vie c’était ça, pousser, tirer, vers le haut vers le bas, et se tromper souvent de sens.
ma dernière création littéraire : une nouvelle issue d’une séance d’écriture dans l’atelier de la compagnie des écrivains du Tarn et Garonne
La Peugeot 404
Elle était garée là depuis ses vingt ans. Dans l’arrière-cour grise aux murs sales. Quelques tags avaient envahi bien plus tard les espaces verticaux vacants. La vieille Peugeot 404.
C’était le cercueil de ses grands parents. On les avait retrouvés asphyxiés par les gaz d’échappement dans un dernier enlacement. Ils n’avaient pas voulu vieillir ni être séparés. Le dispositif était sans faille , une lettre d’adieu avait été laissée sur la table de la cuisine. Mourir ensemble avant d’être des épaves de la vie, des naufrages de décrépitude. Mourir épaule contre épaule, main dans la main, en s’endormant doucement. La Peugeot 404 avait accompagné leur dernier voyage , immobile dans l’arrière-cour, le grand dernier voyage de leur grand amour.
Jeune fille, elle avait accepté ces dernières volontés bizarres tant bien que mal. Et puis en y réfléchissant, c’était mieux que crever de solitude dans un EHPAD parce que l’autre était mort dans l’agonie d’un cancer. Fallait-il s’aimer et se croire éternels !
Cet amour extrême, elle en avait été le témoin dans son enfance, ces regards toujours amoureux de l’un à l’autre, ces baisers impromptus, ces mains serrées, ces manières de se parler, c’était plus que de la tendresse, plus que de la vieille habitude du mariage.
On les avait trouvés au petit matin, sortis précautionneusement de l’habitacle et étendus côte à côte sur leur grand lit. Puis ils furent incinérés et leurs cendres éparpillées au même endroit au pied d’un arbre, un cerisier sauvage, vieux comme Hérode qu’ils continueraient ainsi à nourrir.
La Peugeot 404 servait maintenant d’abri pour les chats, les vitres ouvertes, les sièges crevés, la carrosserie rouillée, une portière en moins. Tous les chats errants y passaient le jour ou la nuit parce qu’Emeline les nourrissait dans l’arrière-cour. Toujours à boire et à manger pour les chats de gouttière du quartier. Ils allaient et venaient, se laissaient caresser, ils aimaient cette vieille cage en ferraille dans leur liberté. Ils prenaient le maigre soleil citadin ronronnant sur le toit, sur le capot, ils s’abritaient de la pluie sur les coussins intérieurs. Ils miaulaient à l’heure de la gamelle qu’Emeline ne manquait pas de leur apporter, se frottant à ses jambes, offrant leur tête à sa main caressante, puis se retiraient souplement, contents d’eux mêmes.
Il y avait surtout, fidèles, Grand Pa et Grand Ma, les deux vieux de la vieille, le pelage un peu plus clairsemé , un peu plus blanchi à chaque fois. C’étaient les survivants de sa jeunesse, une réincarnation douce, gentille et tendre, qui lui faisait fête depuis toutes ces années. Un jour ils s’éteindraient eux aussi, d’eux mêmes, quand l’âge serait trop lourd à porter, comme deux bougies, tout doucement, sans faire de bruit.
sur une vieille image de ma jeunesse , au temps des récitations et des images reçues contre dix bons points, ce pastiche dédié à La Fontaine
La commère de la Fontaine
– Bonjour monsieur Panache !
– Bonjour madame Fourmy…
– Vous avez vu ce temps ? Il fait glacial. La bise est venue et la neige par dessus .même plus un vermiceau à se mettre sous la dent .Heureusement que nous avons nos petits logis ! Votre trou dans l’arbre sec doit être bien chaud et bien confortable pour hiberner, et vous avez de quoi … Je vous ai vu ramasser noix sur noisettes pour votre garde-manger d’hiver …
Moi c’est pareil, j’ai travaillé dur tout l’été à glaner dans les épis , à transporter les miettes, et ces éclats de nourriture laissés par les hommes, à récolter les graines tombées et les bouts de fruits. Tout ça toute seule avec mes petites pattes. Je ne rechigne pas à la besogne !
C’est pas comme cette mademoiselle Sigal. Figurez vous qu’elle est venue frapper à ma porte. Voisine, m’ a-t elle dit en pleurnichant, pourriez vous me prêter quelques graines pour subsister jusqu’aux beaux jours? je vous le rendrai , parole d’animal , avec intérêts .
Ah mais ça ! Quel culot !
Vous l’auriez vue cet été à chanter dans les rues avec son violon ! Intermittente du spectacle qu’elle m’a dit qu’elle était. Fainéante oui, irresponsable oui …. Tout l’été à faire la fête , à chanter , à rigoler, à boire et à manger tout ce qu’elle gagnait dans son chapeau . Insouciante , légère, mademoiselle Sigal . Pas un radis de côté , Mr Panache et ça vient faire l’aumône.
Est-ce que je chante moi ? Est-ce que je rigole moi ? Est-ce que je trinque à la bonne franquette moi ?
Monsieur Panache , je lui ai fermé la porte au nez ! Je ne m’appelle pas pigeon ou les restos du coeur! Qu’elle danse maintenant pour se tenir chaud!ah oui alors ! Qu’elle danse avec les moineaux ! Foi de Madame Fourmy !
Ah bon ? Vous lui avez cassé une noisette exprès pour elle ? À mademoiselle Sigal ? Vous êtes trop généreux ! Cela vous perdra.Prévoyant , épargnant , économe , vous êtes que qu’un de bien , vous !
Mais je bavarde je bavarde , ne restez pas dehors par ce froid de canard , vous prendrez bien un petit bout de pomme ?
pour célébrer le génie de Molière, je me suis permis de revisiter à la manière d’une nouvelle un scène merveilleuse de drôlerie du bourgeois gentilhomme. plagiat, pastiche, condensé, exercice de style? une liberté d’écrivain et un hommage tacite. les effets sont beaucoup moins drôles, j’avoue, que sur une scène de théâtre
Molière revisité
Entra le maître de philosophie, tout de noir vêtu, barbiche blanche et lunettes d’écailles, rajustant son col d’un air détaché .
– Que voulez vous apprendre? demanda-il à Mr Jourdain.
– Tout ce que je pourrai, j’ai toutes les envies du monde d’être savant .
D’un ton docte et se caressant la barbe, le maître de philosophie acquiesça.
– Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous savez le latin ?
– Oui, mentit -il, mais faites comme si je ne le savais pas . Que cela veut-il dire ?
– Sans la science la vie est presque une image de mort , traduisit le maître d’un air entendu. Suivi d’un silence solennel.
Puis , il s’enquit des connaissances de son élève, ce qui se résuma assez vite à savoir lire et écrire .
Il lui proposa donc d’apprendre la logique et les trois opérations de l’esprit. La première , la deuxième et la troisième. Bien concevoir par le moyen des universaux , bien juger par le moyen des catégories et bien tirer une conséquence par le moyen des figures.
Devant tant de science, Mr Jourdain jugea le sujet trop rébarbatif et voulut apprendre une science plus jolie.
– La morale ?
Mr Jourdain décida que non décidément, il préférait ne pas réfréner ses passions et se mettre en colère quand bon lui semblait.
– La physique alors ?
L’explication des principes des choses naturelles allant des éléments aux tourbillons en passant par le tonnerre la foudre ou l’arc en ciel lui parut trop embrouillée.Trop de tintamarre là dedans dit -il .
-Apprenez moi l’orthographe.
Pour la traiter en philosophe , le maître expliqua la différence entre les voyelles et les consonnes et entreprit de décrire l’articulation des voix.
A E I O U.
La voix A en ouvrant fort la bouche , la voix E en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut.
– Ma foi, oui . A.E. Que cela est beau! s’extasia Mr Jourdain
– O , l’ouverture de la bouche fait un petit o…
– Vous avez raison, o la belle chose que de savoir quelque chose !
Mr Jourdain n’en finissait pas de s’émerveiller. Quant aux consonnes !
– D se prononce en donnant du bout de la langue au dessus des dents d’en haut . DA
-Ah les belles choses ! Ah les belles choses ! S’ébaubissait–il , en remuant consciencieusement les lèvres sur chaque nouveau son dans des mimiques dignes d’un singe.. Mais le maître de philosophie arrêta là la leçon.
Voulant en savoir encore et encore , Mr Jourdain lui fit une confidence : il était amoureux d’une personne de grande qualité et voulait lui faire parvenir un billet doux . Quelle serait la meilleure façon de lui écrire ?
– Sont-ce des vers ou de la prose que vous voulez écrire ?
– Ni prose, ni vers .
– Il faut que cela soit l’un ou l’autre , trancha le maître.
– Et comme l’on parle qu’est-ce que cela ? Demanda Mr Jourdain
– De la prose
– Quoi ? Quand je dis « Nicole apportez moi mes pantoufles , » c’est de la prose ? Par ma foi cela fait quarante ans que je dis de la prose sans que j’en sache rien ! Je vous suis bien obligé …
Je voudrais lui écrire : belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , mais tourné à la mode , arrangé comme il faut. Dites moi les différentes façons .
Le maître de philosophie tourna et retourna la phrase dans tous les sens . D’amour mourir me font belle marquise vos beaux yeux . Ou encore : me font vos yeux beaux mourir belle marquise d’amour .
– Et quelle est la meilleure façon ? S’enquit Mr Jourdain.
Il fut extasié d’apprendre que le plus naturellement du monde il avait trouvé seul la phrase que le maître de philosophie jugea la meilleure . Belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , voilà qui sonnait bien !
Dans ses chaussures trop étroites , il dansa maladroitement d’un pied sur l’autre, gloussant la phrase, et lissant le jabot blanc de son costume rouge grenat de bourgeois arrivé , comme un gros dindon satisfait.