slimane

rentrée des classes.

Un plaidoyer contre l’ignorance et pour l’éducationcarré sur le possible

photographie de Vincent Pandellé .

extrait de « Ces gens ordinaires » de Michèle Rosenzweig 2010 Editions Edilivre

Le nouveau monde de Slimane

Treize ans et le Coran.

Et les filles.

Trois mystères. Quasi incompatibles.

Le collège de la Nacelle, carré d’ordre républicain et laïc dans le quartier coloré, les odeurs couscous, les quelques femmes voilées, les jeunettes beurs délurées.

Et la boulangerie française baguette croissants.

Et le tabac PMU avec les gros titres d’ « Ici Paris ».

Et les HLM.

Slimane avait envie de tout plaquer. Trop jeune pour partir vraiment. Il avait des idées de fugue. Un mauvais trip de banlieue. Car où aller sans se faire ramasser par les flics ? Et s’attendre à être tabassé par son père au repêchage. Drôle d’évasion, oui vraiment. Avec retour de bâton assuré.

Il préférait celle de l’atelier radio.

Ils y étaient quatre mousquetaires : Slimane, l’arabe ; Camille, le breton. Fernando, le portugais et Olivier, de la banlieue. Cà permettait avec l’aide de Mr Gentil, professeur de technologie, de jouer les reporters et de baigner dans la technique, c’est à dire faire des trucs avec ses mains. Et s’ouvrir au monde avec le son.

Aller par exemple visiter les autres avec un micro et avoir le feu vert pour mettre la musique à fond.

En ce moment , ils suivaient le Vendée Globe, ils communiquaient par radio avec l’un des skippers de la course, trois fois par semaine. Il traînait des rêves de grandes vagues fatidiques qu’on passait de justesse , des trous dans la voilure, des silences radio et des avis force 4, et la mer , la mer tout autour. Elle venait mouiller de ses embruns la vie de Slimane le magnifique dans le petit réduit de la pièce 104 du collège entre 13 heures et 14 heures trois fois par semaine. On en profitait pour raconter la découverte du nouveau monde par les copains portugais du XVème siècle de Fernando , sous les ordres de Vasco de Gama, et Olivier lisait le poème de José Maria de Heredia «  les conquérants ». Avec le ton . « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal….. » Plutôt bizarre, la poésie, mais Mr Gentil y tenait. Cà parlait de marins à l’avant de blanches caravelles. Les gerfauts, ce sont des oiseaux, les caravelles ce sont des bateaux à voiles, leur disait-il. Alors , comme ils avaient carte blanche pour la dernière strophe, ils avaient mis des bruitages et récité façon rap. Mr Gentil leur avait fait écouter hors antenne « la mer » d’un certain Debussy. Etrange musique.

Bientôt, l’actualité virerait de bord, et ils se retrouveraient en plein désert du Paris Dakar en compagnie du « motard qui ne roule pas pour gagner au classement »

mais pour l’amour des dunes sous les pneus de sa machine… Là encore l’imagination entrerait en action, dans la vie de tous les jours et sur les ondes.

Il y aurait aussi cet interview de quatre larrons pas doués pour les études, dans un bureau plein de livres, d’un érudit en astronomie qui leur expliquerait l’infini des étoiles au travers de sa lunette pointée vers le ciel. Suivie de la visite racontée aux auditeurs du planétarium de la Villette.

Et AC/DC et Mc SOLAR pour les plages musicales. Et Khaled pour les auditeurs du quartier arabe.

Treize ans. Et Slimane avait une passion. Plus haute que la tour B avec ses quinze étages. Plus forte qu’une baffe de son père. Plus grande que Mahomet.

La radio et ses trois copains, c’était l’amour concret d’Allah lui-même…

Michèle Rosenzweig-Ces gens ordinaires-2010