Mois: mars 2023
La Peugeot 404
ma dernière création littéraire : une nouvelle issue d’une séance d’écriture dans l’atelier de la compagnie des écrivains du Tarn et Garonne
La Peugeot 404
Elle était garée là depuis ses vingt ans. Dans l’arrière-cour grise aux murs sales. Quelques tags avaient envahi bien plus tard les espaces verticaux vacants. La vieille Peugeot 404.
C’était le cercueil de ses grands parents. On les avait retrouvés asphyxiés par les gaz d’échappement dans un dernier enlacement. Ils n’avaient pas voulu vieillir ni être séparés. Le dispositif était sans faille , une lettre d’adieu avait été laissée sur la table de la cuisine. Mourir ensemble avant d’être des épaves de la vie, des naufrages de décrépitude. Mourir épaule contre épaule, main dans la main, en s’endormant doucement. La Peugeot 404 avait accompagné leur dernier voyage , immobile dans l’arrière-cour, le grand dernier voyage de leur grand amour.
Jeune fille, elle avait accepté ces dernières volontés bizarres tant bien que mal. Et puis en y réfléchissant, c’était mieux que crever de solitude dans un EHPAD parce que l’autre était mort dans l’agonie d’un cancer. Fallait-il s’aimer et se croire éternels !
Cet amour extrême, elle en avait été le témoin dans son enfance, ces regards toujours amoureux de l’un à l’autre, ces baisers impromptus, ces mains serrées, ces manières de se parler, c’était plus que de la tendresse, plus que de la vieille habitude du mariage.
On les avait trouvés au petit matin, sortis précautionneusement de l’habitacle et étendus côte à côte sur leur grand lit. Puis ils furent incinérés et leurs cendres éparpillées au même endroit au pied d’un arbre, un cerisier sauvage, vieux comme Hérode qu’ils continueraient ainsi à nourrir.
La Peugeot 404 servait maintenant d’abri pour les chats, les vitres ouvertes, les sièges crevés, la carrosserie rouillée, une portière en moins. Tous les chats errants y passaient le jour ou la nuit parce qu’Emeline les nourrissait dans l’arrière-cour. Toujours à boire et à manger pour les chats de gouttière du quartier. Ils allaient et venaient, se laissaient caresser, ils aimaient cette vieille cage en ferraille dans leur liberté. Ils prenaient le maigre soleil citadin ronronnant sur le toit, sur le capot, ils s’abritaient de la pluie sur les coussins intérieurs. Ils miaulaient à l’heure de la gamelle qu’Emeline ne manquait pas de leur apporter, se frottant à ses jambes, offrant leur tête à sa main caressante, puis se retiraient souplement, contents d’eux mêmes.
Il y avait surtout, fidèles, Grand Pa et Grand Ma, les deux vieux de la vieille, le pelage un peu plus clairsemé , un peu plus blanchi à chaque fois. C’étaient les survivants de sa jeunesse, une réincarnation douce, gentille et tendre, qui lui faisait fête depuis toutes ces années.
Un jour ils s’éteindraient eux aussi, d’eux mêmes, quand l’âge serait trop lourd à porter, comme deux bougies, tout doucement, sans faire de bruit.
la commère de la Fontaine
sur une vieille image de ma jeunesse , au temps des récitations et des images reçues contre dix bons points, ce pastiche dédié à La Fontaine
La commère de la Fontaine
– Bonjour monsieur Panache !
– Bonjour madame Fourmy…
– Vous avez vu ce temps ? Il fait glacial. La bise est venue et la neige par dessus .même plus un vermiceau à se mettre sous la dent .Heureusement que nous avons nos petits logis ! Votre trou dans l’arbre sec doit être bien chaud et bien confortable pour hiberner, et vous avez de quoi … Je vous ai vu ramasser noix sur noisettes pour votre garde-manger d’hiver …
Moi c’est pareil, j’ai travaillé dur tout l’été à glaner dans les épis , à transporter les miettes, et ces éclats de nourriture laissés par les hommes, à récolter les graines tombées et les bouts de fruits. Tout ça toute seule avec mes petites pattes. Je ne rechigne pas à la besogne !
C’est pas comme cette mademoiselle Sigal.
Figurez vous qu’elle est venue frapper à ma porte. Voisine, m’ a-t elle dit en pleurnichant, pourriez vous me prêter quelques graines pour subsister jusqu’aux beaux jours? je vous le rendrai , parole d’animal , avec intérêts .
Ah mais ça ! Quel culot !
Vous l’auriez vue cet été à chanter dans les rues avec son violon ! Intermittente du spectacle qu’elle m’a dit qu’elle était. Fainéante oui, irresponsable oui …. Tout l’été à faire la fête , à chanter , à rigoler, à boire et à manger tout ce qu’elle gagnait dans son chapeau . Insouciante , légère, mademoiselle Sigal . Pas un radis de côté , Mr Panache et ça vient faire l’aumône.
Est-ce que je chante moi ? Est-ce que je rigole moi ? Est-ce que je trinque à la bonne franquette moi ?
Monsieur Panache , je lui ai fermé la porte au nez ! Je ne m’appelle pas pigeon ou les restos du coeur! Qu’elle danse maintenant pour se tenir chaud!ah oui alors ! Qu’elle danse avec les moineaux ! Foi de Madame Fourmy !
Ah bon ? Vous lui avez cassé une noisette exprès pour elle ? À mademoiselle Sigal ? Vous êtes trop généreux ! Cela vous perdra.Prévoyant , épargnant , économe , vous êtes que qu’un de bien , vous !
Mais je bavarde je bavarde , ne restez pas dehors par ce froid de canard , vous prendrez bien un petit bout de pomme ?
Molière revisité
pour célébrer le génie de Molière, je me suis permis de revisiter à la manière d’une nouvelle un scène merveilleuse de drôlerie du bourgeois gentilhomme. plagiat, pastiche, condensé, exercice de style? une liberté d’écrivain et un hommage tacite. les effets sont beaucoup moins drôles, j’avoue, que sur une scène de théâtre
Molière revisité
Entra le maître de philosophie, tout de noir vêtu, barbiche blanche et lunettes d’écailles, rajustant son col d’un air détaché .
– Que voulez vous apprendre? demanda-il à Mr Jourdain.
– Tout ce que je pourrai, j’ai toutes les envies du monde d’être savant .
D’un ton docte et se caressant la barbe, le maître de philosophie acquiesça.
– Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous savez le latin ?
– Oui, mentit -il, mais faites comme si je ne le savais pas . Que cela veut-il dire ?
– Sans la science la vie est presque une image de mort , traduisit le maître d’un air entendu. Suivi d’un silence solennel.
Puis , il s’enquit des connaissances de son élève, ce qui se résuma assez vite à savoir lire et écrire .
Il lui proposa donc d’apprendre la logique et les trois opérations de l’esprit. La première , la deuxième et la troisième. Bien concevoir par le moyen des universaux , bien juger par le moyen des catégories et bien tirer une conséquence par le moyen des figures.
Devant tant de science, Mr Jourdain jugea le sujet trop rébarbatif et voulut apprendre une science plus jolie.
– La morale ?
Mr Jourdain décida que non décidément, il préférait ne pas réfréner ses passions et se mettre en colère quand bon lui semblait.
– La physique alors ?
L’explication des principes des choses naturelles allant des éléments aux tourbillons en passant par le tonnerre la foudre ou l’arc en ciel lui parut trop embrouillée.Trop de tintamarre là dedans dit -il .
-Apprenez moi l’orthographe.
Pour la traiter en philosophe , le maître expliqua la différence entre les voyelles et les consonnes et entreprit de décrire l’articulation des voix.
A E I O U.
La voix A en ouvrant fort la bouche , la voix E en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut.
– Ma foi, oui . A.E. Que cela est beau! s’extasia Mr Jourdain
– O , l’ouverture de la bouche fait un petit o…
– Vous avez raison, o la belle chose que de savoir quelque chose !
Mr Jourdain n’en finissait pas de s’émerveiller. Quant aux consonnes !
– D se prononce en donnant du bout de la langue au dessus des dents d’en haut . DA
-Ah les belles choses ! Ah les belles choses ! S’ébaubissait–il , en remuant consciencieusement les lèvres sur chaque nouveau son dans des mimiques dignes d’un singe.. Mais le maître de philosophie arrêta là la leçon.
Voulant en savoir encore et encore , Mr Jourdain lui fit une confidence : il était amoureux d’une personne de grande qualité et voulait lui faire parvenir un billet doux . Quelle serait la meilleure façon de lui écrire ?
– Sont-ce des vers ou de la prose que vous voulez écrire ?
– Ni prose, ni vers .
– Il faut que cela soit l’un ou l’autre , trancha le maître.
– Et comme l’on parle qu’est-ce que cela ? Demanda Mr Jourdain
– De la prose
– Quoi ? Quand je dis « Nicole apportez moi mes pantoufles , » c’est de la prose ? Par ma foi cela fait quarante ans que je dis de la prose sans que j’en sache rien ! Je vous suis bien obligé …
Je voudrais lui écrire : belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , mais tourné à la mode , arrangé comme il faut. Dites moi les différentes façons .
Le maître de philosophie tourna et retourna la phrase dans tous les sens . D’amour mourir me font belle marquise vos beaux yeux . Ou encore : me font vos yeux beaux mourir belle marquise d’amour .
– Et quelle est la meilleure façon ? S’enquit Mr Jourdain.
Il fut extasié d’apprendre que le plus naturellement du monde il avait trouvé seul la phrase que le maître de philosophie jugea la meilleure . Belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour , voilà qui sonnait bien !
Dans ses chaussures trop étroites , il dansa maladroitement d’un pied sur l’autre, gloussant la phrase, et lissant le jabot blanc de son costume rouge grenat de bourgeois arrivé , comme un gros dindon satisfait.
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salon du livre de Nègrepelisse
quelques photos de l’artiste , à son stand , et en compagnie de l’organisateur du salon, avec les auteurs à l’apéritif, le tout en diaporama