
ma dernière création littéraire : une nouvelle issue d’une séance d’écriture dans l’atelier de la compagnie des écrivains du Tarn et Garonne
La Peugeot 404
Elle était garée là depuis ses vingt ans. Dans l’arrière-cour grise aux murs sales. Quelques tags avaient envahi bien plus tard les espaces verticaux vacants. La vieille Peugeot 404.
C’était le cercueil de ses grands parents. On les avait retrouvés asphyxiés par les gaz d’échappement dans un dernier enlacement. Ils n’avaient pas voulu vieillir ni être séparés. Le dispositif était sans faille , une lettre d’adieu avait été laissée sur la table de la cuisine. Mourir ensemble avant d’être des épaves de la vie, des naufrages de décrépitude. Mourir épaule contre épaule, main dans la main, en s’endormant doucement. La Peugeot 404 avait accompagné leur dernier voyage , immobile dans l’arrière-cour, le grand dernier voyage de leur grand amour.
Jeune fille, elle avait accepté ces dernières volontés bizarres tant bien que mal. Et puis en y réfléchissant, c’était mieux que crever de solitude dans un EHPAD parce que l’autre était mort dans l’agonie d’un cancer. Fallait-il s’aimer et se croire éternels !
Cet amour extrême, elle en avait été le témoin dans son enfance, ces regards toujours amoureux de l’un à l’autre, ces baisers impromptus, ces mains serrées, ces manières de se parler, c’était plus que de la tendresse, plus que de la vieille habitude du mariage.
On les avait trouvés au petit matin, sortis précautionneusement de l’habitacle et étendus côte à côte sur leur grand lit. Puis ils furent incinérés et leurs cendres éparpillées au même endroit au pied d’un arbre, un cerisier sauvage, vieux comme Hérode qu’ils continueraient ainsi à nourrir.
La Peugeot 404 servait maintenant d’abri pour les chats, les vitres ouvertes, les sièges crevés, la carrosserie rouillée, une portière en moins. Tous les chats errants y passaient le jour ou la nuit parce qu’Emeline les nourrissait dans l’arrière-cour. Toujours à boire et à manger pour les chats de gouttière du quartier. Ils allaient et venaient, se laissaient caresser, ils aimaient cette vieille cage en ferraille dans leur liberté. Ils prenaient le maigre soleil citadin ronronnant sur le toit, sur le capot, ils s’abritaient de la pluie sur les coussins intérieurs. Ils miaulaient à l’heure de la gamelle qu’Emeline ne manquait pas de leur apporter, se frottant à ses jambes, offrant leur tête à sa main caressante, puis se retiraient souplement, contents d’eux mêmes.
Il y avait surtout, fidèles, Grand Pa et Grand Ma, les deux vieux de la vieille, le pelage un peu plus clairsemé , un peu plus blanchi à chaque fois. C’étaient les survivants de sa jeunesse, une réincarnation douce, gentille et tendre, qui lui faisait fête depuis toutes ces années.
Un jour ils s’éteindraient eux aussi, d’eux mêmes, quand l’âge serait trop lourd à porter, comme deux bougies, tout doucement, sans faire de bruit.